Dans un jardin s’épanouissait une fleur qui, chaque matin, attendait dans l’impatience et la fébrilité l’arrivée d’une abeille joyeuse et enjouée, toujours la même, qui venait prendre de son pollen pour ensemencer la terre qui ferait naître d’autres fleurs comme elle.
C’était chaque fois une copulation divine. Et parfois l’abeille restait une heure ou deux sur une de ses pétales pour causer avec sa fleur préférée. Celle-ci n’avait pas grand’chose à lui dire, tandis que l’abeille en avait long à raconter sur ses voyages et sur tout ce qu’elle avait vu.
On croit les abeilles volages et étourdies, mais elles ne le sont pas. Certes, elles butinent beaucoup de fleurs, mais c’est toujours sérieusement. Elles sont avant tout des ouvrières à produire du miel dans leurs ruches, qui sont toujours des habitations savantes faites par elles-mêmes.
Quant aux roses, elles ont l’air prétentieuses mais, au fond, ce sont de grandes timides qui rougiront ou rosiront pour un rien. Et elles ne sont heureuses d’être coupées de leur tige que lorsqu’elles savent qu’elles seront offertes par un homme à la femme qu’il aime.
Les jours de pluie, la rose s’ennuyait terriblement. Et les gouttes d’eau qui s’échappaient d’elle auraient tout aussi bien pu être ses larmes. Quelle grande joie était la sienne quand se levait une aurore qui annonçait une journée qui serait pleine de soleil !
Quand l‘abeille venait se poser délicatement sur elle, elle l’enivrait alors de ses meilleurs parfums. Et quand elle revoyait partir son amie dans un vol zigzaguant dans le ciel, elle se mettait alors à sourire.
Un jour, elle confia à l’abeille que la jardinière lui faisait peur quand elle la voyait apparaître avec un petit sécateur pour couper la tige d’autres de ses semblables autour d’elle.
L’insecte, qui ne perdait jamais le jardin de vue, rassura sa fleur qu’elle viendrait alors bourdonner autour de ses oreilles, ce qui devrait suffire à l’éloigner; sinon, elle irait vite chercher des dizaines d’autres de ses semblables.
Ce qui n’empêcha pas un jour pluvieux la propriétaire de la maison, munie d’un filet protecteur sur le visage, de cueuillir la fleur, qui était devenue la plus belle d’entre toutes, pour embellir et parfumer sa demeure.
Constatant cela le lendemain, l’abeille piqua la dame de son dard sur une main et entreprit de trouver un petit coin de terre fertile où elle sèmerait un pollen de saon choix pour faire de son amie une véritable reine !
Voilà où conduit quelquefois, mieux que l’amour, une grande amitié fleurie et miellée.